Un regard
Tout à l'heure, j'ai rencontré une âme fraternelle.
Je ne m'y en attendais pas.
Ce n'est pas tous les jours que l'échange est réel, qu'il dépasse le lieu, le moment, les circonstances.
J'étais dans le Métro, je revenais d'un rendez-vous, peu importe.
Autour de moi, des humains, presque tous rivés sur leur distributeur de lumière automatique, leur empêcheur d'angoisser en groupe, celui que je rechigne à sortir en public pour ne pas être surprise en flagrant délit d'absence au réel.
J'observais, curieuse de me demander qui interviendrait en cas d'urgence, qui paniquerait, qui calmerait, qui guiderait tout le groupe.
Je m'imprégnais de ce que j'imaginais de la vie des gens. Leur histoire débordait pour moi de leur anonymat ou sinon, j'inventais. Cette jeune femme frêle et voilée de bleu, à la place à côté de la mienne, avait posé son coude sur ses genoux et se tenait le front pour répondre à ce qui semblait être un besoin irrépressible de dormir. J'étais assise près de la fenêtre. Je lui ai tapoté l'épaule et lui ai offert d'échanger nos sièges pour qu'elle puisse appuyer sa tête sur la vitre, ce qu'elle a accepté volontiers.
Assise à ma nouvelle place, j'ai croisé le regard d'une petite fille, cheveux foncés coiffés de barrettes colorées. Elle tenait la main de sa mère devant les portes de sortie, sans rechigner, pleine de calme et d'assurance pour ses cinq ans. Elle a tourné la tête pour me regarder. Je lui ai souri. Il y avait de la reconnaissance dans son regard, comme si nous nous étions déjà vues, quelque part, dans un ailleurs qui n'appartenait pas aux circonstances habituelles. À la station suivante, lorsque la porte s'est ouverte, elle a de nouveau tourné la tête vers moi, juste avant de sortir, tenant toujours la main de sa mère. Je me sentais reconnue, comme si elle avait deviné ma véritable nature, quelle qu'elle soit. En passant devant la fenêtre du wagon, elle m'a cherchée du regard une dernière fois, souriant presque, à peine étonnée, les yeux pétillants. Je me sentais comme Damiel, l'ange du film de Wim Wenders, quand Peter Falk se met à lui parler alors qu'il est invisible aux yeux de tous, sauf que, dans mon cas, c'est plutôt moi qui voyais l'ange sous forme de petite fille.
Cette brève rencontre a imprégné ma journée de son parfum intemporel. Le soleil d'été qui s'attarde me semblait d'autant plus bienfaisant.
Il faut toujours être prêt.e.s pour la visite de l'ange.
© Michelle Courchesne, texte et photo.
Ah ces magnifiques rencontres fortuites et fugaces captées par les yeux du coeur 💐♥️